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Blanchette la Fée des Pleurs

Un conte du Centre Val de Loire
(37)

- Avant-propos -

Le conte de «La Souris Blanche», dont est issu le personnage de Blanchette, a été ma première découverte avec le genre du «conte historique» : ce genre qui introduit, avec ses libertés d’écritures et d’interprétation, l’Histoire grâce aux codes de la fiction.

Un genre très apprécié par les auteurs.es romantiques du XIXe siècle, qui l’utilisaient pour transmettre leurs valeurs et leurs idéaux au travers de grandes figures historiques telles que Louis XI, Guillaume le Conquérant et tant d’autres.
Ce que fit bien sûr Hégésippe Moreau, l’auteur de «La Souris Blanche».

Tombé amoureux de ce conte, je voulais vous proposer à mon tour ma version des aventures de Blanchette.
J’espère que mes mots feront honneur à l’histoire de Moreau.

Bonne lecture à vous.


Le Conte

15 min. Temps de lecture

Aujourd’hui, je vous emmène dans les douces contrées tourangelles, ma terre natale. Alors installez-vous confortablement et permettez-moi de vous raconter, avec ces mots qui sont les miens, l’histoire de la plus improbable des héroïnes.

  Figurez vous la plus petite, la plus chétive et la plus humble des créatures qui soit : une souris. Pas une souris grise et morne, au poil sale et au regard plein de malice. Mais une jolie souris à la robe blanche comme la neige, au regard empli de tendresse et coiffée de deux magnifiques oreilles. Le genre de souris qui n’hésite pas à tourner le dos à un bon morceau de fromage pour aller consoler les pleurs d’un enfant. Voici notre héroïne.

  Maintenant, laissez-moi vous présenter le lieu de notre intrigue. Car comme tout conte qui se respecte, notre histoire prend place dans un château. Pas un de ces châteaux couverts d’or et paré de tapis rouge, où les bals amusent les convives et où les romances naissent à la tombée de la nuit.
Non, pas ce genre de château. Mais plutôt le genre sombre et lugubre où même le soleil semble fuir l’odeur putride qui règne dans ses cachots. Car nous sommes ici au château de Plessis-Lez-Tours au XVe siècle, alors demeure du terrible roi Louis XI dont la cruauté est sans égal.

   Voilà, notre cadre est posé. Revenons maintenant à notre petite héroïne. Il serait d’ailleurs plus convenable de l’appeler par son nom - car oui elle en a un, et il lui va à ravir si vous voulez mon avis. Notre humble souris se nomme Blanchette. Un nom tout à fait charmant, que notre petite créature reçut il y a de cela plusieurs années d’un jeune garçon prisonnier des geôles du château. Blanchette, la souris blanche !

   La voilà d’ailleurs qui gambade dans les couloirs du château, évitant les gardes en longeant les murs, passant par des chemins connus d’elle seule. Elle est en retard pour déjeuner, et son hôte doit s’impatienter. Vite vite ! Un petit bond par-ci, une escalade par-là et la voici arrivée. Elle peut déjà sentir le doux fumet des bons petits plats. Assez perdu de temps, Blanchette grimpe sur la table et agrippe un biscuit de ses petites pattes : que le festin commence !

   Après quelques minutes, notre souris lève finalement les yeux pour se trouver museau à nez avec un enfant qui la regarde avec amusement, tout en la sermonnant pour son retard. Voilà son hôte, le jeune fils du roi Louis XI, le Dauphin Charles VIII.

   Vous remarquerez la curiosité de la scène et me demanderez sûrement comment un humain et une souris peuvent manger à la même table, d’égal à égal. Je vous répondrai simplement que c’est ce que font des amis. Car aussi étonnant que cela puisse paraître, Blanchette est l’amie de Charles, et Charles est son ami. Comment le sont-ils devenus ? Ah ça, c’est une toute autre histoire ! Disons simplement que Blanchette répondit aux pleurs de l’enfant à un moment où celui-ci avait besoin de l’amour d’un parent.

   Revenons à nos moutons, où plutôt à notre Souris. Car après avoir sermonné non sans plaisanterie notre humble amie, le jeune Charles finit par lui poser «la» question qu’elle attendait : «Où étiez-vous ?»
Blanchette, en amie sincère, décide alors de lui expliquer la cause de son retard. Oh non pas avec sa voix, après tout les souris ne parlent pas - n’est-ce pas ? Mais avec l’aide d’un livre posé sur la table. Blanchette en tourne les pages jusqu’à tomber enfin sur la phrase qu’elle cherchait : «Visiter les prisonniers». Elle voit alors son ami frissonner. Elle sait que tout le château se murmure les choses horribles qui se trament aux cachots. Même le jeune Dauphin doit avoir entendu quelques histoires effrayantes sur les malheureux que le roi enferme sans raison, et sur le sort terrible qu’il leur réserve. Blanchette aimerait que ce ne soient que des histoires...
Elle pose alors son regard plein de tendresse sur son ami, puis quitte la table du déjeuner. Car un autre devoir l’appelle.

   Maintenant, permettez-moi d’avancer un peu dans l’histoire. Je pourrais vous raconter toutes les péripéties vécues par notre blanche amie, mais la vie d’une souris est bien plus mouvementée qu’on ne le croit et il me faudrait bien des lignes pour vous raconter ses aventures rocambolesques. Sachez seulement que toutes ces péripéties avaient un but bien précis : réunir nos personnages en ce lieu et à ce moment précis.

   Nous voici donc à la nuit tombée, aux abords des terribles cachots. Blanchette attend, un pincement au coeur. «Et s’il ne venait pas ? Il doit venir !» C’est alors qu’une lueur apparaît, chaleureuse et réconfortante comme une étoile dans la nuit : «Le voilà !» Elle se précipite alors au sous-sol pour se cacher près d’une de ces ignobles cages scellées dans le mur.
Ca y est, la lueur entre dans les cachots. Elle avance, hésite, se rapproche de nouveau puis s’arrête. Au côté de la lueur qui n’est en fait qu’une torche, Blanchette voit alors son jeune ami Charles tout tremblant. En face de lui, un jeune garçon à peine plus vieux est recroquevillé au sol, enchaîné. Des barreaux séparent les deux garçons.
De chaudes larmes coulent sur le visage du Dauphin, et le jeune prisonnier répond à ce salut muet par un sourire de reconnaissance. Face à cette scène, Blanchette est heureuse. Car, plus que quiconque, le jeune garçon enchaîné a besoin d’aide.

   Qui est-il, me demanderez-vous ? Vous vous souvenez sans doute de ce jeune garçon prisonnier de Louis XI, celui qui baptisa Blanchette : «Blanchette» ! Et bien ce jeune garçon, c’est celui-là même qui se tient devant notre cher Charles. D’ailleurs ce n’est pas n’importe quel enfant, il s’agit du Duc de Nemours ! Un titre bien grand pour un si jeune garçon, et pour cause : ce titre, il l’a tristement acquis à la mort de son père, que le roi sans cœur avait exécuté pour trahison envers sa couronne. Après quoi Louis XI, dans un acte de vengeance excessif, avait fait mettre aux cachots les fils de feu le Duc pour les voir mourir à leur tour. Un seul est encore en vie, et il se tient devant Charles. Une histoire bien sombre... Alors laissez-moi ajouter un peu de lumière à ce tableau ! Car comme vous l’imaginez, de la compassion de Charles va naître une amitié profonde entre le Dauphin et le Duc.

Blanchette, jusqu’alors spectatrice, décide d’entrer en scène. Elle court vers la cage, saute sur les chaînes du Duc, grimpe le long de son bras et vient se poser sur son épaule. Quelle surprise pour le jeune Charles de voir Blanchette aux côté de l’infortuné prisonnier ! Et quel étonnement pour le jeune Duc de découvrir l’amitié qui lie la souris et le Dauphin. S’ensuit alors une chamaillerie d’enfant aussi puérile que touchante pour savoir lequel des deux mérite le plus l’amitié de la souris.

   Ah! Si elle n’était pas une souris, Blanchette en sourirait certainement ! Car il me faut vous faire un aveu : je vous ai caché la vérité. Et je suis sûr que vous n’y avez vu que du feu, car nous sommes dans un conte après tout et les souris, bien que déjà savantes et douées d’une grande compassion dans notre réalité, pourraient l’être d’autant plus dans ce genre d’histoire ! Mais la vérité est que Blanchette n’est pas une souris. Où du moins, elle ne l’a pas toujours été.

   Il fut un temps en effet où Blanchette se faisait appeler Angelina et où elle était coiffée d’un chapeau merveilleux. Un temps où son regard était empli de tendresse et où elle portait une robe aux couleurs du ciel et aux reflets du soleil. Il fut un temps où Blanchette était une jolie fée.

   Car croyez moi sur parole : les fées existent ! Nul en Touraine ne vous dira le contraire, après tout l’on y vénère depuis toujours ces êtres merveilleux. Nombreuses sont les histoires impliquant des fées, et peut-être qu’un jour je vous raconterai l’histoire de la Grotte aux fées, la vie de la Dame de Berthenay, ou encore la terrible bataille entre les fées du Loudun et les fées de Rochefort.

   Mais pour l’heure, revenons à Angelina, notre «Blanchette» souris pas encore sourette. C’est une histoire passionnante que celle qui raconte sa transformation ! Mais je m’égare déjà beaucoup trop, et nous avons encore un jeune garçon à sauver. Alors disons simplement que pour avoir perdu sa baguette magique, Angelina fut punie par la reine des fées et changée en l’animal de son choix. Elle choisit de devenir une souris blanche, et fut condamnée à courir le monde un siècle durant.

   Mais revenons à nos cachots. Nous sommes en compagnie de Charles, du Duc et de Blanchette, un peu plus de quatre-vingt-dix-neuf ans plus tard. Nos trois compagnons ont maintenant pris pour habitude de se retrouver en secret pour partager quelques moments de bonheur et d’insouciance, avant de retourner à leur triste vie. Et ce soir, notre chère souris-fée admire ses enfants rêvant de liberté. Revient alors au Duc une histoire entendue de la bouche des gardes : «Il paraît que les barreaux de ma cage ont été forgés par un sorcier gitan, et que seul un miracle pourrait les déloger du mur.», avoue-t-il comme pour mettre fin à leurs rêveries. Révolté par une pareille histoire, Charles se lève d’un bon pour s’écrier : «Lorsque mon père sera mort et que je serai roi, je ferai tomber ces barreaux et te libérerai !»

  Un frisson parcourt Blanchette. Elle sait que ces paroles sont dangereuses et que son ami aurait mieux fait de les garder pour lui. Mais ce qu’elle ne sait pas, c’est qu’une ombre les observe. Une ombre que nos trois personnages n’avaient pas remarquée. Une ombre qui attend le bon moment, tapis dans un coin de la pièce telle une araignée tissant sa toile.
Cette toile vient de se refermer sur nos trois amis. Une voix rauque résonne alors dans toute la pièce : «Tu fais de mon vivant les yeux doux à ma couronne ! Tu songes d’avance à mes funérailles, misérable !»

   Arrive alors le moment de mon histoire qu’il me peine à raconter. Car sachez qu’au château de Plessis-Lez-Tours, en ces temps-là, rien n’est plus craint que la colère du roi. Et bien que vieux et mourant, ce dernier dispose encore d’assez de forces pour cracher des arrêts de mort avec ses dernières dents. Dans un excès de colère suite à la trahison de son propre fils, le vieux roi fait ainsi tomber la sentence : «Le Duc de Nemours mourra demain, dès l’aube !»
J’aimerais pouvoir vous dire que nos héros se sont révoltés, qu’ils ont contesté l’avis du roi ou plus merveilleux encore, qu’ils lui ont fait changer d’avis en faisant appel au peu de compassion qu’il lui restait ! Mais nous ne sommes pas dans ce genre d’histoire. Le roi a parlé, l’enfant Duc mourra. Le vieux tyran quitte alors la pièce en boitant, entraînant le jeune Charles par le bras et laissant le Duc de Nemours seul avec notre sourette.

   Face à cette tragédie, un petit visage nous apporte tout de même un peu de réconfort. Car une lueur d’espoir brille dans les yeux de Blanchette ! Voyez-vous, notre petite amie de par sa nature magique est plus sensible aux rouages de ce que nous appelons «le Destin». Et elle sent au plus profond de son cœur que quelque chose se trame, quelque chose qui mettra un terme à notre histoire. Espérons seulement que cela arrive avant le lever du jour...
Notre souris passe ainsi cette dernière nuit au côté du pauvre condamné, lui prodiguant toutes les caresses et le réconfort qu’une mère sourette puisse donner à son enfant.

   Viennent finalement les premières lueurs du jour. Un espoir continue de briller dans le regard de Blanchette qui se tourne alors vers l’entrée des cachots, des bruits de pas se font entendre, des voix.
La sentence arrive : voici le roi.

   Enfin, le roi... Pour tout vous dire, quelque chose semble avoir changé en lui. D’abord, il ne boîte plus. D’ailleurs à bien y regarder, il semble même avoir une tête ou deux de moins. Ah si ! Sa couronne est bien là ! Mais elle semble trop grande désormais pour sa tête. En fait de tête, celle-ci ne ressemble en rien à celle du vieux roi, mais ces yeux pleins de compassion, le jeune Duc les connait...

«Le roi est mort, longue vie au roi Charles VIII !»

   Les rouages du Destin. Le vieux tyran a rendu son dernier souffle dans la nuit, et notre jeune Dauphin vient d’être couronné roi de France ! Et vous vous en doutez, la première chose que Charles veut faire, c’est de libérer son ami des cachots qui le retiennent prisonnier. Il ordonne alors aux hommes qui l’accompagnent de scier les barreaux. Mais l’histoire des gardes résonnent encore entre ces murs : les barreaux sont ensorcelés, nul ne peut les briser. Les outils se fracassent sur le métal, et rien ne semble pouvoir déloger la cage du mur.

   Avez-vous remarqué que Blanchette est restée bien discrète depuis l’arrivée du roi ? Elle pourrait sauter au cou de Charles, l’accueillir avec ses yeux pleins de tendresse! Mais elle n’en fait rien. En fait, elle ne peut rien faire, car elle est en train de vivre quelque chose d’incroyable, quelque chose qu’elle n’a vécu qu’une fois dans sa longue vie de fée. Car cela fait maintenant cent ans jour pour jour qu’elle court le monde.

Tandis que les hommes de Charles s’acharnent sur les barreaux de la cage, un éclat de lumière illumine la pièce, des étincelles ! Puis tout s’évanouit pour laisser place à une fée ravissante, vêtue d’une robe aux couleurs du ciel et aux reflets du soleil. D’un geste solennel, elle fait disparaître les barreaux de la prison du Duc avant de le prendre dans ses bras. Elle lui offre un baiser sur le front, avant de faire de même avec le jeune roi. Puis Blanchette, la Fée ayant répondu aux pleurs de ces deux enfants désormais libres, dépose sur eux un regard empli de tendresse. Un dernier regard avant de disparaître.


   Vous connaissez maintenant l’histoire de notre sourette, et savez pourquoi nous l’appelons aujourd’hui encore la Fée des Pleurs. Peut-être viendra-t-elle vous consoler à votre tour, dans un moment de profonde tristesse ?​

J’espère que ce conte vous a plu.

C’était l’histoire de Blanchette, la fée des Pleurs. Une histoire librement adaptée du conte La Souris Blanche, de Hégésippe Moreau.

À bientôt.

- Votre Valconteur




Sources & Liens

- MOREAU, Hégésippe, 'Le Myosotis : petits contes et petits vers', 1838.
En ligne au : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54078190/f32.item consulté le 28 mai 2025.


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