
Jean Bart
Une histoire des Hauts-de-France
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- Avant-propos -
Lorsque j’ai découvert l’histoire de Jean Bart, je n’arrivais pas à croire ce que je lisais. Les récits de sa vie dépeignaient un corsaire fabuleux, un homme haut-en-couleurs dont les exploits étaient dignes des plus grands héros de romans d’aventure ! J’ai d’abord voulu croire que sa vie avait été romancée pour le «bien» de la grande Histoire, qu’on avait enjolivé la réalité pour créer un héros dans une période ravagée par les guerres du roi Soleil.
Mais après avoir croisé plusieurs sources, j’ai bien dû admettre que je m’étais trompé : les exploits du personnages sont bien réels, et même si nous pouvons nuancer l’Histoire en précisant qu’elle fut réécrite par les vainqueurs, force est de constater que la vie de Jean Bart est de celles qui méritent d’être racontées.
Alors permettez-moi de vous embarquer à mon tour dans cette incroyable épopée ! Je vous précise tout de même que la première partie de mon récit, se situant dans l’enfance de Jean Bart, est fictive. Une introduction réécrite afin de situer le contexte familial et géographique réel du personnage. Pour le reste, j’ai essayé d’être le plus fidèle à l’Histoire, en me permettant quelques libertés d’écriture pour la fluidité et les effets de style.
En vous souhaitant une bonne lecture !
L'Histoire

10 min. Temps de lecture

Il est parfois des histoires qui dépassent les plus grandes légendes. Des hauts-faits que nous aurions peine à croire s’ils n’avaient pas écrit la Grande Histoire. Dans ce genre de récit, les chevaliers sont sans armure et le feu des dragons est craché par la gueule de centaines de canons. Dans ce genre d’histoire, les milieux les plus troubles font naître les plus grands héros.
Aujourd’hui, je vais vous raconter une de ces histoires, et elle commence dans les flammes et les cendres...
Une explosion ! Des détonations, des tirs, l’acier s’entrechoque ! Nous sommes le 29 juin 1694, l’aube ne s’est pas encore levée que le pont du navire hollandais «Prins Friso» est en proie au feu et au chaos. Les lames se croisent dans une danse frénétique rythmée par les tirs des pistolets : un dernier requiem pour de nombreuses vies.
Au cœur de cette bataille, un homme s’avance, déterminé à accomplir ce pourquoi il est venu.
Un homme qui s’apprête à changer le cours de l’Histoire.
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«- Il en est hors de question !
- Mais voyons...
- Je refuse, vous m’entendez ?! Je refuse que mon fils prenne ce genre de risques !»
Ces mots, ce sont ceux de dame Catherine Jaussen. Car vous pouvez vous en douter, nous ne sommes plus sur le pont d’un navire mais dans une petite maison, où un autre genre de bataille a lieu. Une douce dispute, à vrai dire, entre Catherine et son fidèle ami et conseiller le vieux loup de mer Jacques Seyrac, dit Hareng-Sauret.
Nous voici à Dunkerque, trente-deux ans avant le début de notre récit. Et si je vous ai amené en ces lieux à ce moment précis, c’est parce que le destin d’un troisième personnage est en train de se jouer. Un personnage qui se trouve dans le coin de la pièce et qui observe, comme nous, la scène qui se déroule. Voici le fils de Catherine, le jeune Jean alors âgé de seulement douze ans.
«- Enfin, personne ne pouvait prévoir que le ciel allait se déchaîner aujourd’hui ! Lorsque j’ai laissé votre fils partir sur cette embarcation, le temps était magnifique et la mer calme...», tente de justifier le vieux Sauret.
En effet, plus tôt dans la journée, le jeune monsieur avait pris la mer avec deux amis dans une frêle embarcation, mais il fut surpris par une tempête qui manqua d’emporter nos trois camarades. Leur survie tint alors au seul sang-froid de Jean qui manœuvra d’une main de maître leur navire et ramena tout le monde à bon port, accueillis par un tonnerre d’applaudissements !
Ah vous auriez vu ça, du grand art ! Car Jean, malgré son jeune âge, a hérité du savoir-faire de son père, de son grand-père et de son arrière grand-père, tous fiers corsaires de leur temps ! Mais toute la maîtrise de notre jeunot ne justifie pas, aux yeux de sa mère, d’avoir pris autant de risques. Elle a raison, après tout la mer est cruelle et emporte nombreux marins, par ses tempêtes ou ses batailles. Catherine ne le sait que trop bien...
C’est pourquoi notre pauvre Sauret se fait sermonner depuis le début de l’histoire, et ce malgré ses tentatives de vanter les prouesses de Jean, le «digne fils de son père» ! Seule l’intervention de notre petit héros du jour sauve le vieux loup de mer :
«Racontez-moi, maître Sauret ! Racontez moi la bataille qui vit mourir mon grand-père, et comment vous et mon père vous êtes liés d’amitié pour la vie !»
Le vieux marin lance un regard à Catherine, qui acquiesce d’un hochement de tête. Après tout, c’est une histoire qui fait honneur à son mari et qui vaut d’être contée, vous pouvez me croire !
Hareng-Sauret commence alors son récit : comment Cornil Bart participa à libérer Dunkerque du blocus des Anglais, et comment Sauret et Cornil devinrent des amis sincères, de véritables frères d’armes !
Cette histoire, je ne vous la raconterai pas aujourd’hui - pas cette fois. Mais sachez qu’elle alluma une flamme dans le cœur de Jean qui le guidera toute sa vie : les prémices de la grandeur !
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Nous voici de retour sur le pont d’un navire. Non, pas le «Prins Friso», il est encore trop tôt pour ça. Nous sommes le 14 juin 1667 à bord d’un navire descendant la Tamise pour retourner vers les mers. A ses côtés, deux vaisseaux : le «Unity» et la fierté de la marine anglaise, le «Royal Charles» ! Des cris de joie s’élèvent du pont, on fête et on danse aux chants des marins.
Rien d’extraordinaire me direz-vous, après tout ce ne sont que des bâtiments anglais naviguant sur leur fleuve, n’est-ce pas ? Seulement notre premier navire n’est pas anglais, mais flamand. Car nous voici au lendemain de la bataille de Medway où un convoi néerlandais vient de porter un coup décisif aux Anglais, coulant une dizaine de leurs navires et capturant deux de leurs plus grands vaisseaux : le «Unity» et le «Royal Charles». Une opération menée d’une main de maître par un lieutenant-amiral qui rêvait de grandeur !
Le lieutenant-amiral Michiel de Ruyter.
Vous vous attendiez à un autre nom ? Pourtant, De Ruyter est un personnage haut en couleurs qui mérite toute votre attention. Mais il est vrai que je vous ai promis une autre histoire, et sachez que je tiens mes promesses. Si je vous raconte cet épisode, c’est parce qu’à bord du navire flamand et malgré les cris de joie des matelots, il y en a un qui bougonne dans son coin. Un très jeune matelot, qui a l’audace de dire à qui veut bien l’entendre que le lieutenant-amiral devrait pousser le raid jusqu’à Londres plutôt que rentrer au pays. Quand bien même De Ruyter a réussi à capturer deux des plus beaux navires anglais et à en couler une dizaine d’autres ! Un jeune matelot âgé de 16 ans seulement et qui aurait pu paraître bien présomptueux s’il n’allait pas devenir la légende : notre Jean Bart !
Ce jour-là, Jean dut se faire une promesse : celle de ne jamais reculer devant un défi... Et encore moins s’il était anglais !
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«Maudite prison...»
De retour en Angleterre, à Plymouth, le 3 juin 1689... Où plutôt dans une des geôles de la ville. Le corsaire Claude de Forbin grommelle tandis que lui et Jean tentent de scier les barreaux de leur fenêtre. Nos deux amis, après avoir livré grande bataille, ont été faits prisonniers de guerre !
Quelques jours plus tôt, nos deux corsaires escortaient des bateaux marchands pour la France quand deux grands navires anglais lourdement armés les avaient pris en chasse. Jean Bart et Claude de Forbin savaient que le combat était perdu d’avance mais ils n’avaient pas hésité à attaquer les premiers, profitant de l’effet de surprise pour permettre aux marchands de prendre la fuite. C’est après une lutte acharnée que nos deux corsaires ainsi que quelques compagnons avaient dû se rendre, blessés et sans navire.
Et nous voici donc dans les prisons de Plymouth. Hors de question d’attendre patiemment que les choses s’améliorent, ce n’est pas vraiment le genre de nos protagonistes. Avec l’aide du chirurgien chargé de les soigner et de deux mousses, Jean Bart et le chevalier de Forbin ont planifié une évasion pour retourner en France. L’un des mousses leur a donné en cachette des limes pour leurs barreaux, le chirurgien s’est assuré de les remettre sur pieds. Ne reste plus nos deux infortunés qu’à scier les barreaux de leur fenêtre pour retrouver les autres hors de la prison et quitter l’Angleterre.
Le dernier barreau vient de céder ! Vite, vite ! le temps presse ! Les corsaires rejoignent leurs complices puis se dirigent vers le port. Là ! Une petite barque, et son propriétaire est ivre-mort, parfait ! On jette l’homme saoul sur le port, on monte dans l’embarcation et c’est parti pour les mers.
Problème : le port est rempli de navires militaires contrôlant les aller-retours. Et justement, l’un d’eux interpelle la barque :
«Where is the boat going ?!»
Jean Bart, maîtrisant l’anglais et comprenant qu’on leur demande de justifier leur sortie, jette avec nonchalance :
«Fishermen !»
Croyant avoir à faire à des pêcheurs, les Anglais laissent finalement passer la chaloupe. Et voici notre petit groupe en route pour la France ! Ne reste plus qu’à traverser la Manche. En barque... À la rame....... Le chevalier de Forbin souffrant encore de ses blessures et les autres ne connaissant pas assez bien cette mer, c’est Jean qui s’y attelle durant toute la traversée.
Après deux jours d’effort, ils atteignent enfin les côtes françaises et accostent dans un petit village près de Saint-Malo. Si la rumeur de leur mort s’était déjà répandue dans tout le pays, la nouvelle de leur retour n’en est que plus glorieuse et retentissante ! Le roi Louis XIV lui-même, impressionné par tant de bravoure, promeut Jean Bart Capitaine des Vaisseaux du roi pour son exploit !
Un exploit qui est loin d’être le dernier, car notre Dunkerquois doit encore écrire un autre chapitre de son histoire. Un chapitre de flammes et de cendres.
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Nous sommes dans la nuit du 28 au 29 juin 1694. Sept navires corsaires, menés par Jean Bart, se dirigent vers la Norvège avec pour mission de rejoindre un convoi de cent vingt bâtiments chargés de blé et de l’escorter jusqu’à Dunkerque et au Havre.
Car la France crie famine. Les guerres de Louis XIV s’éternisent, le blocus des Hollandais empêche toute aide de l’extérieur et si ce convoi n’arrive pas à bon port, le peuple français pourrait ne pas y survivre. L’enjeu est grand, Jean Bart le sait.
Sur une intuition, il décide de longer les côtes hollandaises plutôt que de naviguer droit vers la Norvège. Notre maître corsaire est persuadé que le convoi norvégien ne l’a pas attendu et même pire ! Que les Hollandais l’ont déjà intercepté.
Son intuition était juste ! Il est 3h du matin, nous sommes au large de l’île hollandaise de Texel quand Jean aperçoit au loin des centaines de voiles blanches se diriger vers les côtes.
Après une mission de reconnaissance périlleuse, l’information est confirmée : les Hollandais, menés par le navire amiral «Prins Friso», ont bien capturé le blé destiné à la France !
Jean réunit alors tous ses compagnons d’armes dans un conseil de guerre exceptionnel. Il ne s’agit plus d’escorter un convoi, mais de le reprendre ! Qui plus est, avec une flotte bien moins puissante que l’ennemi : sept navires corsaires contre huit vaisseaux de guerre hollandais, 302 canons contre 388 !
Il est décidé qu’un des bâtiments de la flotte, «le Portefaix» sera armé pour attirer l’attention d’un vaisseau ennemi et l’emmener loin du conflit dans le but d’équilibrer les forces. Les autres occuperont la flotte hollandaise tandis que «le Maure», navire de Jean Bart, se chargera du «Prins Friso».
«Il faut combattre et reprendre la flotte ou y rester !»
Les premiers tirs des canons, les hurlements des marins. La Bataille du Texel commence !
Jean essuie des tirs, il riposte ! Des explosions, le bois craque, les mâts tanguent. Notre capitaine jette un regard au loin, «le Portefaix» a engagé le combat avec son ennemi : la stratégie fonctionne !
Des détonations à tribord, «le Prins Friso» a pris en chasse «le Maure».
«Parfait !»
Jean met le cap sur le navire amiral et fonce toutes voiles dehors : le temps lui est compté et il lui faut couper la tête du serpent s’il veut gagner cette bataille. Les navires s’entrechoquent dans un fracas à réveiller les morts, on crie à l’abordage ! Jean Bart et son équipage se ruent sur le pont du «Prins Friso» : ce navire doit tomber. Des détonations, des tirs, l’acier s’entrechoque ! Notre corsaire avance sur le pont, pare quelques coups, riposte.
«Où est-il ?!»
Son regard en croise un autre, son sang ne fait qu’un tour : le voilà !
En face de Jean, un homme au regard froid dirige sa lame vers notre corsaire. Celui que Jean cherchait, la tête du serpent : l’amiral hollandais Hidde de Vries.
Le combat s’engage ! Un coup, une parade, une feinte, une esquive : deux virtuoses du sabre dans une danse macabre. Jean est blessé, il riposte ! L’amiral finit par tomber.
C’est fini.
Le calme revient sur le pont, l’équipage hollandais est vaincu.
La bataille n’a duré que trente minutes, mais la capture du vaisseau amiral met un terme à tout combat. Les Hollandais, ayant subi de lourdes pertes, prennent la fuite et après une longue période de famine, Jean et sa flotte peuvent enfin rendre son pain à la France.
Ils sont accueillis en héros, et le roi Louis XIV anoblit notre corsaire en le faisant chevalier de l’ordre de Saint Louis.
Et voici comment le Dunkerquois sauva toute une nation de la famine.
Comment Jean Bart, corsaire du roi Soleil, sauva le peuple français.
C’était l’histoire de Jean Bart, un récit inspiré de la vie réelle et des exploits du corsaire.
Merci de votre lecture.
- Votre Valconteur
Sources & Liens
- André, Zysberg. « Jean Bart », FranceArchives.
En ligne au : https://francearchives.gouv.fr/fr/pages_histoire/39653 consulté le 8 juillet 2025.
- Au coeur de l’histoire: Jean Bart, corsaire du roi (Franck Ferrand), 29 janvier 2020.
En ligne au : https://www.youtube.com/watch?v=ZSHNpcR4iU8 consulté le 15 juillet 2025.
- « Family tree of Jean BART (2) », Geneanet.
En ligne au : https://gw.geneanet.org/favrejhas?lang=en&n=bart&oc=2&p=jean consulté le 8 juillet 2025.
- « Jean Bart », Dunkerque Tourisme.
En ligne au : https://www.dunkerque-tourisme.fr/decouvrir/une-immersion-dans-lhistoire/jean-bart/ consulté le 8 juillet 2025.
- « La bataille du Texel ».
En ligne au : https://www.ville-dunkerque.fr/decouvrir-sortir-bouger/histoire-patrimoine/dunkerque-aujourdhui/la-bataille-du-texel consulté le 16 juillet 2025.
- Ledoux-Beaugrand, Evelyne. « Jean Bart, rustaud, héros ou bourreau? », les plats pays, 22 octobre 2024.
En ligne au : https://www.les-plats-pays.com/article/jean-bart-une-figure-complexe/ consulté le 8 juillet 2025.
- Roy, Just-Jean-Étienne (1794-1871) Auteur du texte. «Jean Bart : par Frédéric Koenig (Nouvelle édition)», 1896.
En ligne au : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k63508996 consulté le 10 juillet 2025.
- Villiers, Patrick. «Jean Bart : Corsaire du Roi-Soleil», Éditions Fayard, 2013.
InFabulis, l'Héritage Oublié™, une collection créée sans IA par Jimmy "Le Valconteur" Szezur
Une collection auto-éditée par Jimmy Szezur et produite à la Fabuleuse Échoppe