
Le Loup de Cinq-Mars
Un conte du Centre-Val de Loire
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- Avant-propos -
Ah, les histoires de loups ! Nous en avons beaucoup en France, pays autrefois peuplé par de nombreuses meutes, aujourd'hui quasiment disparues. Cet animal nous a inspiré tant de contes et légendes : c'est grâce à lui que nous avons pu mettre en garde tant de générations d'enfants contre les dangers de la nuit !
L'appétit dévorant du loup nous a aussi permis de raconter beaucoup de récits initiatiques, de passages à l'âge adulte et des dangers de "l'appétit" de certains malintentionnés. Nous pensons toutes et tous au "Petit Chaperon Rouge" bien sûr (saviez-vous d'ailleurs que la Touraine avait sa propre version de cette histoire ?), mais il existe d'autres histoires contant les malheurs d'une passion trop excessive. Et elles sont souvent plus subtiles et moins connues que celles du Grand Méchant Loup.
Alors, pour remettre en lumières ces histoires oubliées, je tenais à vous raconter, avec mes propres mots et mon interprétation, celle du "Loup de Cinq-Mars". Et si la curiosité vous prend, je ne peux que vous conseiller d'aller écouter la version de C'est Nabum que vous trouverez en bas de page, et qui fut celle qui me fit découvrir ce conte pour la première fois.
Le Conte
5 min. Temps de lecture
Aujourd’hui - une fois n’est pas coutume - j‘aimerais vous conter une histoire de ma région, un conte de la Touraine. D’ordinaire, la Touraine a des contes joyeux ou bons enfants, teintés de sa douceur et de sa bonhomie. Les fées y sont tendres et sympathiques, un peu facétieuses au pire mais rarement méchantes. Les histoires ont souvent une fin heureuse, et même les coureurs d’El-Brou, nos équivalents des loups-garous, n’ont pas mauvais fond. Mais aujourd’hui, je veux vous faire découvrir une autre Touraine et vous conter l’histoire d’un ménestrel, d’un carrefour sans nom et d’un loup.
Venez avec moi ! Je vous emmène à un âge où on partage les superstitions au lever du jour et où on craint les sorcières la nuit tombée. Allons du côté du petit village de Cinq-Mars où nous pouvons admirer une tour fabuleuse s’élevant haut vers le ciel : on la nomme la Pile. À côté de cette tour, il y a un petit sentier : un charmant chemin cheminant dans les bois verdoyants (ne le cherchez pas de nos jours, il a disparu avec le temps). Nous pourrions le suivre bien sûr, mais nous avons écouté les rumeurs et les mises en garde. Les habitants du coin racontent que ce chemin mène à un carrefour sans nom où d’étranges choses s’y passent. C’est un nid de lutin, c’est sûr ! Ou alors, des fées facétieuses s’y cachent pour vous jouer un mauvais tour… Pire !!! C’est un repaire de sorcières, et ce lieu est maudit par la magie noire ! Tant d’histoires aussi folles les unes que les autres mais une chose est sûre : à la nuit tombée, mieux vaut ne pas traverser le carrefour sans-nom, où nous pourrions ne pas en revenir !
Ces conseils, le ménestrel de notre histoire aurait dû les écouter. Oh bien sûr il a vu du pays, notre musicien ! Et il n’a plus peur des superstitions des petits villages. Mais croyez-moi que cette fois, il aurait dû écouter les rumeurs et craindre les menaces. Pauvre ménestrel ! D’ailleurs, le voilà qui passe devant nous et emprunte le chemin tant redouté. Prends garde, ménestrel ! Hélas, il ne peut ni nous entendre, ni nous voir… Et nous n’allons certainement pas emprunter le sentier alors que le soleil est bas ! Laissez-moi plutôt vous raconter la suite de son aventure.
Le voilà qui avance au soleil couchant, jouant joyeusement de son luth. II compose une chanson destinée à divertir la cour du château de Langeais. La chanson parlera d’amour, d’une belle rencontre entre une femme sublime et - pourquoi pas ? Un ménestrel aventureux ! Le musicien s’imagine courtisant la belle, lui volant un sourire ou deux avant de l’inviter à danser. Ses doigts s’activent sur son luth et il chante encore et encore, pris dans sa fièvre créatrice - une fièvre amoureuse ! Il voit sa belle danser autour, lui murmurant des mots doux, la main tendue pour l’inviter à la ronde. Mais lorsqu’il veut la saisir, elle disparaît dans un écran de fumée. Alors il ferme les yeux pour jouer encore et encore sans se rendre compte qu’il arrive au mystérieux carrefour sans-nom, et que la nuit est maintenant tombée. Un frisson le parcourt, il ouvre les yeux et reste bouche bée.
Devant lui se tient sa muse, plus belle encore que dans sa chanson ! Elle a le regard malicieux, un sourire aux lèvres. Le mélomane reprend sa mélodie, ses doigts virevoltent sur son instrument et la belle apparition se met à danser ! Elle tourne autour du virtuose, lui promettant belle récompense s’il continue ainsi toute la nuit. Ses courbes féminines frôlent ses mains de musicien, un frisson le parcourt de nouveau. Sa vision doit encore lui jouer des tours, car voilà qu’elles sont deux maintenant - non, trois ! Une ronde frénétique, le ménestrel joue désormais pour quatre déesses plus belles les unes que les autres. Il joue et chante encore et encore dans une sérénade endiablée ! Une main puis un regard à la dérobée, une caresse et des rires, le musicien est en transe. Les cordes brûlent, la voix s’épuise mais il tient bon et continue jusqu’à ce qu’enfin, les premiers rayons du soleil éclairent la croisée des chemins : il a réussi ! Le cœur battant, notre ménestrel se tourne alors vers les nymphes dans l’espoir qu’elles tiennent leur promesse.
Disparues ! Le voilà seul au milieu du carrefour, sans aucune trace des jeunes femmes ou de la récompense… Un bruit ! Quatre louves détalent pour se réfugier dans une grotte de tuffeau, accompagnées de… De rires ?!
Les larmes aux yeux, le ménestrel détache une à une les cordes de son luth pour les nouer entre elles. Il choisit un chêne vénérable puis, sans aucun signe qui pourrait sauver son âme, il se pend.
Pauvre ménestrel qui aurait dû écouter les conseils des habitants de Cinq-Mars ! Imaginez leur surprise quand, le soleil bien levé, ils découvrirent à la croisée des chemins non pas un homme pendu au chêne, mais un loup ! À ses pieds, une mandragore avait poussé. De peur, ils laissèrent le loup là et ainsi, le carrefour sans-nom devint le carrefour du Loup-Pendu.
Depuis ce jour, si vous évoquez cette histoire auprès des habitants de Cinq-Mars, les plus anciens vous murmureront que chaque nuit, dans une grotte près de la Pile, un grand sabbat a lieu. Quatre louves et un vieux loup y dansent amoureusement jusqu’au lever du jour, au son d’un mystérieux instrument à corde venu d’on ne sait où.
C'était l'histoire du Loup de Cinq-Mars, une réécriture du conte du Carrefour du Loup-Pendu.
Merci de votre lecture,
- Votre Valconteur
Sources & Liens
- Contes de la Loire (Grand format - Broché 2025), de Agnès Michaux | Grasset.
- Les 4 louves, de C’est Nabum, 25 avril 2022.
En ligne au : https://www.youtube.com/watch?v=JgiUAnUHiuo consulté le 18 août 2025.
InFabulis, l'Héritage Oublié™, une collection créée sans IA par Jimmy "Le Valconteur" Szezur
Une collection auto-éditée par Jimmy Szezur et produite à la Fabuleuse Échoppe




